Présentation de la pièce publiée aux Editions Fiacre
L’Epistolière de Martine Amsili
L’Épistolière, Rébecca Livner, une juive allemande écrivait à son amant Charles Leroy, grand écrivain de l’époque. Entre 1895 et 1938, les lettres arrivaient rue des belles Feuilles à Paris.
Nous sommes en 2001. Maxime, piètre auteur à la mode emménage dans cette maison au passé encore vivant. En fouillant dans la bibliothèque encore habitée de quelques vieux livres, il trouve la correspondance de Rébecca. Il s’en empare avec beaucoup d’émotion.
Des récits éblouissants l’étourdissent, une voix lui parle, ébahi par tant de grâce, ce faiseur de mots virtuels des années 2000 s’émerveille à la verve fleurie d’une femme inconnue, il s’ancre dans son vieux monde raffiné et savoure un romantisme disparu.
Un éclair violent éclate et la pluie bat sur les carreaux, un craquement se fait entendre, la bibliothèque s’ouvre et fait apparaître une femme. La bibliothèque se referme. Rébecca Livner avance lentement, un vent venu de nulle part fait voler sa chevelure, un souffle de vie fait danser sa robe, elle marche pieds nus et semble revenir d’un “long voyage”. Une véritable apparition pour le public, Maxime ne la voit pas ! La découverte de ces lettres jaunies d’un passé éternel le plonge dans une sorte de “songe évanoui” car l’âme de cette inconnue n’en finit pas de l’étourdir.
L’homme au cœur de pierre n’a jamais aimé, n’a jamais souffert. L’esprit de Rébecca, ses mots d’amoureuse, son âme aimant Dieu à l’infini, sa ferveur pour la littérature et son goût pour le théâtre déferlent dans sa vie.
Poussé par une force supérieure, l’auteur compose des missives enflammées sur son ordinateur, et lui envoie ses mots virtuels au ciel. La dernière lettre date de 1938, la Nuit de Cristal à Berlin va interrompre cette correspondance…
Note de l’auteur
L’Épistolière
Une pièce de Martine Amsili
J’ai voulu ici faire jaillir ces voix du passé, inéluctables, indicibles, intemporelles. J’ai tenté de suivre la reine de l’expression littéraire : la Lettre, et pour cela, il a fallu me rompre à l’art épistolaire.
Sensible à toutes les formes d’écriture, la lettre d’amour s’est toujours distinguée à mes yeux comme un joyau de la langue française. Déjà au conservatoire, elle avait attiré mon attention et j’ai toujours su en tant que comédienne qu’elle maintenait instantanément l’auditoire dès la lecture et produisait beaucoup de succès grâce au brio de l’éloquence.
Cependant entrer dans ce beau témoignage des mœurs et de l’esprit s’est imposé à moi d’une manière troublante.
J’ai donc essayé de créer une œuvre théâtrale épistolaire en composant autour de deux personnages Rébécca Livner et Maxime, Rébecca ayant vécu à la croisée de deux siècles revenant d’un long voyage et réapparaissant intacte, épistolière et amoureuse, Maxime vivant dans le monde moderne d’aujourd’hui et rêvant d’atteindre ce qui n’est plus : une femme irréelle, un vieux monde raffiné et un romantisme disparu.
Si les lettres d’Héloïse à Abélard, celles de la Religieuse portugaise à Noël de Chamilly, de Gustave Flaubert à Louise Colet, de George Sand à Alfred de Musset, celles de Juliette Drouet à Victor Hugo et beaucoup d’autres sont célèbres et renferment de véritables passions, celles auxquelles je vous convie célèbrent l’amour fou et résonnent mystérieuses telles une incantation dans la nuit.
L’Art Épistolaire
Depuis le balbutiement des mondes, depuis la naissance de l’homme, et la merveilleuse aventure humaine où les « voix chères » si chères à Verlaine ne se sont certes « jamais tues » les mots parlent, l’art épistolaire naît 2000 ans Avant J.C sous la magie de l’écriture.
La lettre d’amour si attrayante soit-elle est dotée d’un pouvoir magique, d’un ressort théâtral absolument délicieux. L’âme naturelle y est marquée partout car forte d’une voix inhérente, d’une vie existante ou ayant existé, l’épître continue même après la mort de nous parler.
Aujourd’hui dans nos salles, elles ne passent pas inaperçues et comme hier participent toujours autant à une forme rare, singulière, tragique. Si les professionnels de la scène ont renoué depuis quelques années avec l’art épistolaire c’est bien parce qu’il détient toutes les fonctions dramatiques et demeure un moyen de conversation intime qui engage bien plus loin qu’un discours verbal.
Cet entretien se passe toujours en un lieu, en un temps, en une situation, en un dénouement. La Lettre, celle par laquelle on doit passer pour s’exprimer vivement donne les images et les sensations les plus vivantes.
L’auteur de la missive marque sa personnalité et s’efface lors de la lecture, donnant ainsi par l’absence plus de vérité et de romanesque. L’épistolier se dévoile, se démarque de sa plume et disparaît en créant ainsi quelque chose d’authentique, de nostalgique et d’irrésistible.
La lettre s’apparente à un dialogue et renvoie dans ses aveux, dans ses récits, dans ses sollicitations à bien des richesses, à bien des échanges grâce à l’absence sublimée de l’être aimé.
Il n’est rien de plus intense qu’une lettre à pensées reçue de l’être aimé, il n’est rien de plus touchant que de tenir entre ses mains tremblantes d’émotion, le papier qu’un amant a touché et les mots gravés, lus avec empressement ont déjà un goût d’éternité.
Nous ne connaissons rien de plus savoureux, de plus ardent que de recevoir une lettre d’amour et de sentir le cœur gonflé, esseulé, à nu de l’amoureux transi, du galant possédé, de l’admirateur appelant sous le crissement d’une plume à dessein d’un rendez-vous, une femme si loin de lui.
D’un billet doux, d’une missive, d’un message tracé à l’encre d’Asie pour rêver d’un ailleurs, une lettre désarme et réveille les cœurs les plus taris.
Les mots d’amour écrits ont de l’influence, l’épistolier supplante le beau parleur. La créature de rêve rivalisera avec difficulté face à une grande épistolière, paroles qui s’envolent et dont les écrits restent…
Les lettres sont immuables et demeureront à jamais, car nous parleront encore et toujours d’amour au théâtre jusqu’à la fin des mondes.
Personnages : 2. Rébecca Livner, Maxime.
Durée : 1H45
Décor : 1
Mise en scène : Martine Amsili.
Texte publié aux Editions Fiacre.
Le rideau se lève sur le salon d’une maison parisienne. Nous sommes en 2001. Un désordre charmant règne comme une présence. Quelques lampes illuminent par endroits la pièce. Des objets insolites, des tableaux, de petites tables, des sièges de toutes sortes donnent la réplique et composent avec des bronzes, des sculptures et la poussière en prime.
Deux fauteuils sont revêtus d’une toile blanche. Un lit de repos en retrait est recouvert d’un édredon, deux rocking-chairs en rotin se font face, une malle ouverte près d”une table de toilette laisse apparaître un plaid. Sur une autre malle, un chandelier renversé se repose. Une pendulette posée sur une étagère a cessé d’égrener les saisons.
Sur un portemanteau en bois verni, un chapeau d’homme et une écharpe ont l’air d’attendre quelqu’un. Tout prés, deux valises en cuir vieilli à trônent à terre. Quelques tapis recouvrent le parquet en bois, ça et là, des tas de vieux journaux jonchent le sol. Une immense bibliothèque au fond de la scène s’élève jusqu’au plafond et s’empare de la pièce d’une manière impressionnante. Une échelle en bois, coulissante, inséparable l’accompagne. Des centaines de livres parlent d’un ailleurs.
Sur le plancher, sur les tables, sur le bureau, des piles de bouquins, des montagnes de récits ouverts sur l’amour, des recueils fermés sur l’éternité, couchés, les uns contre les autres, des monceaux d’ouvrages sur la cheminée, des œuvres délaissées là à la page annotée et parées de longues tapisseries de toiles d’araignées. Sur le bureau, un ordinateur portable Mac dernier cri et un fauteuil à roulettes dénotent dans cette ambiance XIXe siècle.
Quand le rideau se lève, un homme se tient sur la cinquième marche de l’échelle de la bibliothèque, il est dos au public, il porte une chemise marquée des salissures de la poussière et un pantalon noir. L’homme, le cheveu en bataille, le regard curieux, tient à la main, une correspondance, des tas de lettres de cachetées, en papier vélin blanc entourées de rubans.
Le papier est jauni par les ans. Au-dessus de sa tête, une étagère est vidée de ses livres. On aperçoit la porte ouverte d’un petit coffre-fort scellé contre le mur, l’homme redescend de l’échelle avec les lettres à la main. Il se retourne et avance face public.
Il regarde autour de lui, son regard va de ses mains à face public puis regardant les lettres un moment, il de?pose quelques tas sur une console, en garde un et avance un peu plus, un jet de lumière l’accompagne.
L’homme dénoue lentement le ruban qui tombe à terre. Il compulse lentement les lettres comme un jeu de cartes, puis recommence, au bout de la troisième fois, il retient une lettre, dépose les autres sur une petite table et sort lentement la lettre de son enveloppe, la déplie, la retourne, pose ses yeux tout en bas et lit la signature : Rébecca Livner